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Réfugiés : ne passons pas à côté des vrais débats

1126759_refugies-ne-passons-pas-a-cote-des-vrais-debats-webEn regardant la télévision le soir, on s’émeut et s’indigne du massacre des populations des pays en guerre. Pourtant, lorsque l’Union européenne propose à la France d’accueillir au cours des deux années à venir 9.127 réfugiés ou demandeurs d’asile en provenance de Syrie et d’Erythrée, soit l’équivalent de 0,013 % de la population française, on frise l’apoplexie collective. S’enclenche une pathétique rhétorique médiatique autour de la notion de quotas, expression habituellement réservée dans le jargon bruxellois aux animaux via des quotas laitiers ou de pêche, ou à la pollution via les quotas d’émission de dioxyde de carbone. De façon un peu convenue, les belles voix s’élèvent alors pour mettre en avant des impératifs de solidarité et de responsabilité. Parler ainsi revient pourtant à reconnaître que les réfugiés ne sont qu’un coût que les pays doivent se partager.

Il est évident qu’il y a des coûts à accueillir des réfugiés mais il y a aussi des bénéfices. Et il n’est pas très intéressant de ne mettre en avant qu’une partie du solde, comme le font certaines « études économiques » autoproclamées, fortement relayées en fonction de leurs conclusions par les tenants ou les opposants à l’immigration. Toutes les études ne se valent pas, mais on aurait tort de se couper de la recherche en économie de la migration. Dynamique et innovante, elle peut aider à dépassionner le débat et à construire collectivement une politique de l’asile cohérente.

La question de l’évaluation scientifique de l’effet de la migration sur la situation économique des habitants d’un territoire est a priori complexe car on ne dispose pas de « groupe de contrôle » permettant d’évaluer la situation du même territoire sans migration et, plus spécifiquement, du fait de la propension des migrants à se diriger vers les territoires économiquement prospères. Il s’ensuit une corrélation évidemment positive entre l’importance des flux migratoires et les performances économiques locales. Les recherches récentes mettent en place des techniques qui permettent d’éliminer ces bais méthodologiques. Mette Foged et Giovanni Peri en proposent un bon exemple concernant l’effet de l’accueil de réfugiés sur la situation des personnes non qualifiées sur le marché du travail. Ils étudient le cas du Danemark qui, entre 1995 et 2003, a accueilli de nombreux réfugiés en provenance de zones alors en conflit et principalement de Bosnie, d’Afghanistan, de Somalie et d’Irak. Le Danemark était en 1994 un pays de 5,2 millions d’habitants dont la situation économique n’était pas particulièrement favorable avec près de 8 % de chômeurs. Pour la démarche scientifique, ce pays offre le double avantage de récolter un grand nombre de données individuelles, ce qui permet une analyse précise des effets de la migration sur la population locale, et d’avoir mis en place une politique où les réfugiés sont répartis sur l’ensemble du territoire par une instance gouvernementale. Les réfugiés acceptent la proposition de localisation car elle est assortie de la gratuité d’un logement. Cette allocation centralisée neutralise le biais de localisation évoqué plus haut. Les résultats suggèrent que l’accueil des réfugiés n’a pas engendré d’effets négatifs sur l’emploi et les salaires des Danois peu qualifiés. Certains, en particulier les plus jeunes, ont même vu leur situation s’améliorer car le flux d’étrangers les a conduits vers des emplois plus rémunérateurs.

Le drame auquel nous assistons actuellement en Méditerranée a mis la question migratoire au coeur de l’agenda de la Commission européenne. Cependant, la répartition des réfugiés proposée par Bruxelles s’est vue refusée par Paris et Berlin, et le risque est grand que les discussions prévues fin juin tournent court. Les recherches économiques récentes sur les mécanismes de coordination peuvent, à ce stade, être utiles afin d’aider à mieux coordonner les politiques nationales d’asile. Hillel Rapoport et Jesús Moraga ont détaillé une méthode originale qui, à la suite de la proposition de la Commission européenne, laisserait aux Etats et aux réfugiés la possibilité d’exprimer leurs souhaits. Ces derniers permettraient de définir un ensemble de compensations monétaires qui amélioreraient, du point de vue de chacun, l’allocation initiale.

L’Europe, qui a réussi à mettre en place la liberté de circulation en son sein, doit aussi, par cohérence, réussir la coordination des politiques migratoires. C’est un sujet difficile parce que politiquement sensible. Mais c’est sur ces sujets que le projet européen doit avancer s’il entend rester admirable.

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